Le transsibérien

Publié le par Jean-Michel Tour Du Monde

Bonjour à tous.

Je suis actuellement à Irkoutsk, une ville assez étrange au bord du lac Baïkal. Demain, nous partons pour l'île d'Olkhon, dont tout le monde dit du bien, et dont les recherches sur le net semblent confirmer ces promesses. Mais le Baïkal sera le sujet d'un prochain article, pour l'heure, parlons du train dont nous sortons à peine : le transsibérien.

De Moscou à Irkoutsk, 5300km, 5 fuseaux horaires, 3 jours et demi (et 4 nuits) de voyage. Qu'en dire ? Avant de répondre à cette question, je vais laisser Pierre vous exposer son opinion, via son blog, ses photos, et même une vidéo qui résume vraiment très bien cette expérience. Allez donc y jeter un oeil, et revenez me voir après, promis, je ne bougerai pas.

C'est fait ? Bien. Donc comme vous avez maintenant un très bon aperçu de quoi il en retourne, laissez-moi vous livrer un avis beaucoup plus personnel.

Bien que ne sachant pas ce que j'attends de mon "tour du monde", je crois que cette expérience du transsibérien vient de m'en donner un concentré. Si je ne devais en retenir qu'une seule chose, je crois que ce serait "melting-pot". Ce train brasse toutes les nationalités, toutes les cultures, toutes les religions, toutes les morphologies de ce coin d'Asie. Et il en concentre un nombre impressionant :

  • des musulmans turques ou azerbaïdjanais, au teint mat, petits, bruns.
  • des chrétiens russes (ou géorgiens) plutôt grands blonds au visage austère.
  • des bouddhistes mongoles, petits trappu, au visage presque plat.
  • des chinois, petits mais plus sveltes, au visage beaucoup plus allongé.
  • des polythéistes bouriates (http://fr.wikipedia.org/wiki/Bouriatie).
  • des athés français, grand et maigre, tout blanc, avec un grand nez, ne parlant pas un mot de russe, la langue pourtant fédératrice ici.

Attention, ces descriptions sont bien évidemment non seulement un avis personnel, mais surtout des caricatures permettant de mieux s'imaginer le brassage culturel à l'intérieur du wagon d'une soixantaine de personnes.

Et pour couronner ce concentré, l'inimitable Alex (voir le blog de Pierre), notre voisin de couchette. Je ne vois pas comment nous aurions pu mieux tomber. Ce bouriate, issu d'une famille de chamanes, toujours d'une tranquilité bienveillante, interpelle chaque personne du wagon passant devant notre compartiment, et lui demande tout simplement d'où il vient, et de quelle religion il est. Aucune tension liée aux différences de croyances de chacun, juste de la curiosité, et un réel échange. Après cette discussion introductive (se terminant généralement par des éclats de rire, une poignée de main appuyée, et de grandes claques dans le dos), Alex nous explique en 2 mots, l'origine et la religion de chacun. Pas besoin de beaucoup de mots pour se comprendre ! De cette manière, sans même l'avoir cherché, nous voilà présenté à l'ensemble du wagon.

Vraiment, un sacré bonhomme cet Alex. Jamais un mot plus haut que l'autre, toujours le mot pour rire, ou pour nous filer un coup de main lors des discussions trop embrouillées. Calme, posé, serein, gai, franc. Sûrement mon premier coup de foudre depuis le départ, d'autant plus qu'il a passé ses journées à m'appeler "Ludovicus XIV, King of sun", apparemment à cause de ma barbe (???) et de mes cheveux longs (faisant penser à une perruque ?).

 

Sans chercher à faire de résumé de ces quelques jours, je vais plutôt donner quelques petites anecdotes, permettant de donner un éclairage différent. Comme ces 2 gamins, copains comme cochon depuis leur rencontre le premier jour, qui passent leurs journées à jouer ensemble, ainsi qu'avec l'ensemble des personnes du wagon (plus ou moins saoules selon le moment de la journée), et tout le monde trouve ça normal, de jouer avec l'enfant d'un autre. Après tout, tout le monde a des enfants, et faire des chatouilles à une tête blonde qui cavale à côté de nous, pourquoi résister ? Après plusieurs jours de recul ("mais enfin, c'est qui le père de ce gosse, ça le dérange pas ce vieux tout bourré qui fait mine de lui mettre des claques ? Ah mais c'est lui le père..."), nous finissons par nous y mettre également, et nous sommes aussitôt adoptés.

Comme cette discussion avec un groupe assez éméché, nous parlant fort, et bien évidemment en russe, alors que nous ne comprenions visiblement rien. Au bout de quelques tentatives avortées de leur faire comprendre notre totale incompréhension, nous décidons d'inventer des significations à leurs phrases, afin de rire avec eux (mais pas des mêmes choses) et de faire avancer le schmilblick. Morceaux choisis : "il a dit quoi ?

Il dit qu'il préfère le chocolat indien parce qu'il fait moins de miettes.

Ah."

Ou : "oui oui oui, il a l'habitude de jouer du piano debout, on a compris !"

Voire : "tu aimes manger des pistaches sur ton balcon ?"

Et l'inoubliable : "g'palémo!"

 

Mais aucune description ne serait complète sans parler du Durak, apparemment LE jeu de carte russe. A première vue, ce jeu est incompréhensible, tout le monde joue en même temps, mais pas toujours, toutes les couleurs de cartes se mélangent, des fois un joueur pioche, des fois non, des fois un joueur ramasse des cartes déjà jouées et les place dans sa main, des fois un joueur retourne des cartes déjà jouées et les enlève du jeu, des fois les joueurs jouent seulement à 2, bien qu'il y ait 4 joueurs. Bref, en gros on comprend rien. Seulement, à force de les regarder jouer, tout fini par prendre du sens, et on finit par s'intégrer à une partie (avec l'aide amicale d'Alex). Quelques minutes plus tard, nous étions prêt à défier n'importe qui dans le train (et c'est plus ou moins ce qu'il c'est passé). Aaaah, l'universalité du langage du jeu.

Mais des langages universels, il y en a d'autres, et le premier... la vodka. J'en avais mis dans mon sac, histoire d'avoir un moyen simple de faire connaissance, finalement nous n'en avons même pas eu besoin (ceci étant dit, la vodka a quand même été bue) !

Autre vecteur de communication simple et efficace, sans besoin de parler : les cigarettes. En effet, après quelques heures (jours ?) de train, les fumeurs commencent à en chercher un peu partout. Je me décide donc à en acheter, histoire de pouvoir en offrir, et par la même occasion faire connaissance (technique ayant d'ailleurs tout-à-faire fonctionnée). Sauf que juste avant de descendre du train, un caucasien un peu saoul, ayant vu mon paquet, essaye de me le faire jeter par la fenêtre parce que "la clope c'est mal, voyez". Je profite de l'occasion pour essayer de lui faire jeter ses bouteilles de vodka (grossière erreur, elles étaient toutes vides), et nous finissons copains comme cochon, à grand renfort d'embrassades.

 

Bon, maintenant petite pause. Imaginez un wagon de 60 personnes, sans douche évidemment, enfermées dans un espace pas tellement grand pendant 3 jours. Bien. Imaginez par dessus le marché que la vodka circule en sous-main, que le poisson (plus ou moins fumé) ait du succès pour les repas, qu'il fasse une chaleur écrasante, et que tout le monde dorme les pieds tounés du côté du couloir. Bien. Je pense que vous avez un (vague) aperçu de l'odeur ambiante. Maintenant imaginez que le train arrive dans une ville d'importance, et qu'il se remplisse soudainement de couples et de familles toutes proprettes, fleurant bon le parfum (ou le savon tout simplement), passant simplement la nuit dans le train pour rejoindre le lac baïkal tout proche. Choc. Regards obliques. Nez pincés. Oui on pue, on joue aux cartes tard le soir, et on rigole fort. Mais oh. C'est notre train quand même.

A vrai dire, je serais bien resté plus. Le transsibérien. Pas une seconde d'ennui. Ces allez-retour entre les couchettes et la bouilloire pour faire du thé. Cette proximité entre inconnus. Cette promiscuité au début dérangeante, puis agréable. Cette impression de quitter des amis et un foyer lorsque nous descendons. Cette (nouvelle) envie d'aborder des inconnus dans le métro.

 

Bref.

Avant de vous quitter, voici quelques photos, via des liens parce la connexion internet de ce soir en a décidé ainsi :

La vue depuis ma couchette : http://hpics.li/933e550 (sur la couchette d'en face, un mongol qui a dû passé plus des 3/4 de son temps à dormir. Sur 48 heures, ça fait drôlement long).

Pierre allongé :http://hpics.li/660e3c1 (ce qui donne un excellent aperçu de la place qu'on a pour dormir, pas terrible, mais franchement pas si mal)

Alex endormi après s'être longtemps battu contre la somnolence : http://hpics.li/f4f561f

Le couloir central, bordé de pieds et de dormeurs de toutes parts : http://hpics.li/f6b6d73

Oui, mes photos sont floues, mais c'est fait exprès, c'est pour laisser plus de place à vos imaginations !

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